De quoi précisément l’islamophobie est-elle le nom ?
Pour ma part, je tiens que
l’islamophobie n’est pas tant la détestation de l’islam que la
projection sur les musulmans de tout ce que notre société se plaît à
détester dans ses propres fondements : sacré, transcendance, générosité,
gratuité, dignité de la personne humaine etc… En d’autres termes,
l’islamophobie serait une « autophobie ». Elle constituerait
l’expression conclusive et paradoxale d’un processus entamé il y a une
quarantaine d’années.
Il n’était pas question d’islamophobie,
en ce temps-là. Au contraire ! Les élites occidentales étaient tellement
sûres d’elles-mêmes, persuadées de leur prééminence intellectuelle sur
le reste du monde, qu’elles voyaient dans l’islam un marqueur culturel
secondaire, facilement soluble dans notre modernité, et qui, sous cette
forme bénigne, pouvait servir d’accessoire folklorique au prétendu
multiculturalisme dont on faisait la forme ultime du progrès social. Il
s’agissait d’un ethnocentrisme néo-colonial et conquérant. C’était le
beau temps de l’ » anti-racisme » triomphant, avec ses harkis (Harlem
Désir), son bureau des affaires indigènes (Julien Dray) et ses
expositions universelles (Jack Lang).
Nous vivons aujourd’hui la deuxième
phase de ce processus. Face aux contradictions du modèle ethno-centrique
et en réponse à l’anomie sociale qu’il génère, l’ethno-centrisme
occidental se crispe. Son incapacité manifeste à digérer l’altérité le
mène à cibler l’autre, en tant qu’autre, comme un ennemi qu’il convient
d’abattre. C’est la phase bushienne, néo-conservatrice, de notre
modernité occidentale. Celle-ci se voit contrainte de réhabiliter les
catégories du bien (= la neutralité axiologique) et du mal (=
l’obscurantisme) qu’elle prétendait pourtant avoir dépassées.
En d’autres termes, nous sommes passés
de la « modernité Blitzkrieg » à la « modernité Maginot ». Et nous avons
substitué à la modernité anti-religieuse du « Petit Père Combes », la
modernité-religion de BHL.
En dépit des apparences, le débat
n’oppose donc pas des « islamophobes » et des « islamophiles », mais
deux formes différentes d’islamophobie dont on ne voit pas assez
qu’elles ne sont que les variantes rhétoriques d’une commune détestation
occidentale de tout ce qui touche au religieux.
L’islamophobie, ou la perpétuation de l’islamophilie par d’autres moyens.
Comme le réel évolue plus vite que les
représentations, on a pu assister ces derniers temps à des
chassés-croisés vertigineux, des embardées rhétoriques spectaculaires :
- Certains voient dans leur islamophobie
une forme de résistance à l’ordre établi alors qu’elle n’en constitue
que la pointe avancée et caricaturale. Quelques uns, du reste, l’ont
bien compris, qui revendiquent une « avance de dix ans » sur Copé (cf.
le « Bloc identitaire »).
- D’autres voient dans leur islamophilie
une forme de résistance à l’islamophobie dominante, alors qu’elle ne
constitue qu’une tentative anachronique de perpétuation, en pleine phase
de crispation identitaire, du néo-colonialisme première manière. « On a
bien digéré le catholicisme rétrograde du Syllabus, continuent-ils à
penser, pourquoi diable n’en irait-il pas de même avec l’islam
obscurantiste des salafistes ? »
- Les musulmans, de leur côté, ne savent
plus très bien à quel saint se vouer. Jamais aussi bien intégrés
(c’est-à-dire désintégrés) dans la sous-culture occidentale, ils se
croient détestés comme musulmans alors qu’ils ne sont que les
boucs-émissaires d’un effondrement global et qu’ils sont, à ce titre,
cruellement soumis à des injonctions contradictoires. S’ils surjouent
l’intégration (= « racaillisation »), la modernité ne supporte pas
l’image très exacte qu’ils renvoient d’elle-même. S’ils tentent de se
différencier (= burkas, barbes et djellabas), ils s’exposent à être
regardés, en tant qu’autres, comme les tenants d’un « retour en
arrière ».
Islamophobie et islamophilie ne sont, en
définitive, que les deux formes successives d’un seul et même processus
dialectique. De la rencontre entre ces deux pathologies, beaucoup plus
que de celle entre chrétiens et musulmans authentiques, risque de naître
la guerre de religions à venir.
Benoît Girard via Mecanopolis
Visiter le blog de Benoît Girard, l’Union sacrée
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